Ce matin, je me suis réveillé, entouré de larmes, de cris, d'inconnus et de sang... coagulé. Cette nuit, maman est morte. Pour je ne sais quelle raison. Tout ce que je sais, c'est qu'en une seule seconde, je suis devenu orphelin, sans abri, sans famille, sans le sou, sans père, sans mère, sans bras dans lesquels je peux me lover et pire... sans espoir. Du bas de mes treize ans, toutes ces responsabilités me tombent là-dessus. Je suis seul, à la merci de la vie. Mis à part quelques regards curieux qui cherchent à savoir ce qui s'est passé, personne ne semble prêter attention à ma personne. Je prends la chaîne que maman avait au cou et me dirige vers la porte de sortie... Et dire qu'on est dans la patrie de la vraie fraternité...

Nous vivions dans une pièce qui faisait office de chambre, salon, cuisine, salle de bain, cour et jardin, louée dans une cour commune d’un quartier populaire de la capitale. Maman, avec son humble commerce de beignets essayait tant bien que mal de nous affranchir du joug de la misère. Elle était de ceux qui tenaient à rester dignes dans la pauvreté plutôt qu'asservis dans une pseudo-richesse. Somme toute, maman était une femme admirable, stoïque et battante. Je n'avais jamais été à l'école. Jusque là, j'étais son aide dans son commerce. Je n'en étais pas fier, pire je détestais cela. Mais maintenant qu'elle est partie, maman et tout ceci me manquent. Je me rendais compte, certainement trop tard qu'elle était toute ma vie, et que follement je l'aimais. Jamais je n'avais connu mon père, ce lâche qui avait fui, et abandonné ma mère, démunie, naïve et amoureuse. Que le tout-puissant Dieu, au moment venu, le rétribue sans pitié, pour cet acte...

Maman est morte. Il me faut maintenant vivre. Vivre à mes dépens. Lutter pour vivre. Travailler pour vivre. Survivre. Dans un premier temps, je tente de devenir balanceur, apprenti dans un genre de minibus communément appelé "gbaka" sous les tropiques. Pour quelques maudits sous qu'on me donne avec regret, j’accepte de me lever très tôt le matin, de courir à gauche à droite après les clients sous le soleil brûlant, d’encaisser, de crier, de me coucher tard. Pas de moment de répit. Aucun jour de repos. De maigres repas. Tout est coordonné pour accélérer le trépas. Je passe toute ma vie à la gare. Ce travail qui arrive à peine à me nourrir est sans que je ne le sache en train de me tuer à violents coups de fatigue, de maladie et de misère. Trop frêle et encore trop désolé par la mort de maman, je ne tarde pas à être remercié par mon patron et accueilli par la rue: la mère de tous les orphelins de mon espèce.

Je quitte la gare pour vivre au marché. J'aide les clientes qui le veulent bien à porter leurs bagages. Souvent, elles refusent, parfois elles lancent des injures, rarement, elles acceptent. Nous autres, enfants de la rue, avons pour première identité le vol, la délinquance. Pour survivre, je suis donc obligé de voler. Je vole des sourires, un peu de joie, un peu de satiété, des brins de bonheurs contenus dans des portefeuilles, des beignets, etc... Ma vie est misérable. Et chaque jour, je me réveille triste d'être encore en vie. Cela fait environ deux ans que maman est partie. J’ai toujours sa chaîne, mon seul héritage. Je n'arrive pas à m'intégrer dans la vie du marché, avec les autres enfants de la rue. Je suis très souvent seul.

Ce soir, après avoir trouvé une table sous laquelle passer la nuit, je suis perdu dans mes pensées. Morphée me tend les bras quand il se glisse à coté de moi et me fait signe de ne pas faire de bruits… Je sais qu'il vient changer ma vie.